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Pourquoi vouloir manger du pain au levain ?

Vous l’avez sans doute remarqué, ce blog est entièrement consacré au levain. Mais pourquoi vouloir s’embêter à faire naître un levain, l’entretenir, et mettre en œuvre des recettes plus complexes que celles réalisées avec de la levure de boulanger ? Quelles sont les différences ? Elles sont innombrables. Et quels sont les bienfaits du levain ? Je vous explique l’essentiel ici.

C’est quoi ? Levure de boulanger vs. levain.

Un peu d’histoire…

Au Néolithique, les céréales étaient consommées sous forme de bouillie. On suppose qu’une de ces bouillies non cuites a été un jour oubliée et que la pâte s’est mise à gonfler. Après cuisson, le pain était né. Jusqu’à l’ère industrielle, tous les pains étaient issus de fermentations naturelles, donc tous les pains étaient au levain. A la fin du 19ème siècle, les boulangers ont commencé à utiliser la levure de bière, sous-produit des brasseries, en complément du levain. Avec le temps, la plupart des boulangers se sont appuyés exclusivement sur cette levure pour faire du pain(1). La levure de boulanger, proche cousine de la levure de bière, est en effet beaucoup plus pratique d’utilisation et permet des levées bien plus courtes, ce qui a considérablement amélioré les conditions de travail de ce métier. Le pain ainsi obtenu est plus gonflé, mais de moins bonne qualité que le pain au levain, ce que nous allons voir en détail ci-dessous.

… Et de biologie :

La levure de boulanger est issue de souches de Saccharomyces cerevisiae, un champignon unicellulaire microscopique. Les levures sont capables de survivre sans oxygène : elles se nourrissent de sucre, et libèrent de l’alcool et du dioxyde de carbone (CO2). On parle de fermentation alcoolique, et c’est ce CO2 emprisonné qui permet de faire lever la pâte.

Le levain est une culture vivante de farine et d’eau contenant à la fois des levures sauvages et des bactéries. Ces levures et ces bactéries sont naturellement présentes sur l’enveloppe des céréales, c’est pourquoi on utilise toujours des céréales complètes pour débuter un levain. Les levures proviennent également de l’air ambiant. Ceci explique donc qu’il existe une infinité de levains, dépendant des céréales utilisées et des lieux où ils ont été créés.

Les levures naturellement présentes dans les levains assurent la fermentation alcoolique. Si l’alcool disparaît à la cuisson, la levée de la pâte au levain naturel est essentiellement assurée par l’action des levures. Mais ce qui est vraiment très important dans le levain, ce sont les bactéries qui vivent en symbiose avec ces levures.

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Les levures au travail

La plupart des bactéries présentes dans les levains sont des bactéries lactiques. Il existe plusieurs genres et de nombreuses espèces de bactéries lactiques, mais la plus courante en France est Lactobacillus sanfranciscensis(2). Les bactéries lactiques sont également des organismes unicellulaires, qui se nourrissent de sucres issus de la dégradation de l’amidon contenu dans la farine. Elles produisent des acides lactiques (présents dans les yaourts) et d’autres sous-produits aromatiques, on parle alors de fermentation lactique. Certaines peuvent produire également de l’acide acétique (présent dans le vinaigre), d’autres sous-produits aromatiques et un peu de CO2, elles sont donc capables à la fois de fermentation lactique et acétique, ce qui est le cas de Lactobacillus sanfranciscensis. Alors, vous allez me dire : « Bon d’accord, mais à quoi ça me sert, à moi, de savoir tout ça ? » Un peu de patience je vais y venir…

Vous aurez compris que les levains sont des cultures vivantes beaucoup plus diverses et complexes que la levure de boulanger. Ce qui veut aussi dire qu’il faut l’entretenir pour conserver les bonnes bactéries et levures qui le constituent. On obtient ainsi des pains très différents et variés, et nous allons voir en quoi plus bas. Mais tout d’abord, la présence de toutes ces petites bêtes vous aura peut-être fait un peu peur : mais alors…

Ce n’est pas risqué de laisser indéfiniment un levain fermenter ?

Si en théorie le levain est composé de bonnes bactéries et levures, qu’est ce qui nous garantit qu’il ne va pas être colonisé par des moisissures ou de vilains pathogènes ? Surtout qu’on le laisse en général à température ambiante !

Rassurez-vous, la nature est souvent bien faite. Tout d’abord, le levain est un milieu acide, et beaucoup de micro-organismes ne survivent pas dans ces conditions. Aussi, un levain est dit stable quand les proportions des différents types de ferments restent stables, et colonisent entièrement le levain(2). Plus de place pour les autres ! Ceci empêche d’autres organismes tels que moisissures ou autres levures et bactéries de coloniser le milieu. Alors si vous prenez soin de votre levain et que vous le voyez actif, c’est-à-dire qu’il est capable de prendre du volume, ne vous inquiétez pas, votre levain est sain et ne vous rendra pas malade. En plus, le pain se mange après cuisson à haute température, n’est-ce pas ? Alors aucun risque !

Avec du levain… plus d’arômes

Comme nous l’avons vu plus haut, la combinaison de plusieurs types de fermentations produit une diversité de sous-produits aromatiques très importante dans les pains au levain(2). Contrairement aux pains à la levure, il existe de nombreux facteurs qui permettent de contrôler les arômes des pains au levain selon ses préférences gustatives. On peut citer bien sûr le type de levain, mais aussi le pH, mesurant le niveau d’acidité, les conditions de température et la durée de fermentation. Ces conditions vont avoir un impact sur la proportion de fermentation lactique et acétique et fera donc varier les arômes. Les boulangers expérimentés sont notamment capables de maîtriser l’équilibre acide lactique / acide acétique (appelé Quotient Fermentaire) et favoriser une acidité plus douce ou plus piquante selon le résultat recherché.

Avec du levain, une croûte plus dorée et plus aromatique

Lors de la cuisson, ce sont les sucres et acides aminés de la pâte qui provoquent la caramélisation de la croûte du pain. C’est ce qu’on appelle les réactions de Maillard. Les réactions de Maillard sont extrêmement complexes, et sans rentrer dans les détails, elles regroupent un grand nombre de réactions chimiques qui provoquent le brunissement et la formation de nombreux composés aromatiques dans les aliments cuits à haute température. En milieu acide, les enzymes qui découpent les protéines sont plus actives, libèrent plus d’acides aminés et favorisent les réactions de Maillard(2). On obtient ainsi des pains plus aromatiques, mais aussi d’une grande diversité possible selon les choix de protocole.

A noter que les pains au levain étant très aromatiques, ils offrent la possibilité de moins saler sans qu’ils paraissent plus fades.

Avec du levain… une meilleure conservation

Les pains au levain, notamment ceux qui contiennent de la farine complète, se conservent beaucoup mieux (plusieurs jours) que les pains à la levure (souvent moins de 24h). Les acides produits par la fermentation au levain et les fibres contenues dans la farine complète piègent l’eau, ralentissant le séchage et le rassissement.

Également, la présence de petites molécules issues de la dégradation de l’amidon pendant la fermentation bactérienne contribue à limiter le rassissement(2).

Enfin, les acides lactiques et acétiques, conservateurs naturels du pain au levain, font que ces pains se conservent plus longtemps que ceux à la levure et ne moisissent quasiment jamais.

Avec du levain… une meilleure digestibilité

De nombreuses études s’intéressent à la capacité du levain à faciliter la digestion du pain, principalement sur deux aspects :

Le levain pré-digère le gluten

Il permettrait une digestibilité facilitée du gluten. Le gluten est le réseau de protéines responsable de la structure de la mie. Les protéines sont cassées par des enzymes (les protéases) qui sont au maximum de leur activité en milieu acide (pH4)(2). On observe ainsi une dégradation du gluten en cours de fermentation. Ceci constitue une difficulté inhérente de la panification au levain, notamment par un risque d’affaissement de la pâte en cas de levée trop longue. Mais c’est aussi cette « pré-digestion » partielle par les protéases qui permettrait à notre système digestif de mieux digérer le gluten. A noter également que les pains aux farines issues de blés anciens, contenant des protéines de plus petite taille, peuvent aussi contribuer à mieux supporter les glutens. Attention cette propriété du levain ne permet malheureusement pas aux personnes atteintes de la maladie cœliaque de consommer du pain au levain, mais des scientifiques travaillent sur le sujet. (lien vers une publication scientifique en anglais)

Le pain au levain est assimilé plus lentement

Le levain a également un impact sur l‘indice glycémique des pains (IG). L’IG reflète la vitesse à laquelle les sucres d’un aliment vont se retrouver dans le sang sous forme de glucose. Plus l’index glycémique d’un aliment est élevé, et plus le pancréas va produire d’insuline pour stocker le glucose délivré rapidement dans le sang. Ce glucose étant principalement stocké sous forme de graisse, ceci explique que consommer beaucoup d’aliments à fort IG a tendance à faire grossir, voire favoriser le diabète de type II. C’est le cas des aliments très sucrés bien sûr, mais aussi des aliments à base de farine très raffinée comme la baguette ou le pain de mie par exemple.

Pain de campagne au levain, pointage | Mon Levain
Levain et farine complète pour un pain plus nourrissant

Le pain au levain a un IG moins élevé que le pain à la levure. Ceci s’explique tout d’abord par le ralentissement de la dégradation de l’amidon en sucres rapides pendant la fermentation (les enzymes amylases sont moins actives à pH acide)(2). Pendant la cuisson, les acides présents dans le pâton limitent également la dégradation de l’amidon. Enfin, on peut noter que l’IG est d’autant plus bas si on utilise des céréales entières, des farines complètes, mais aussi des farines grossières comme celles de meule(3). Manger du pain blanc ou du pain complet est affaire de préférence, mais il est reconnu que consommer des céréales complètes est intéressant pour diminuer l’indice glycémique des aliments. Les farines complètes sont en effet riches en fibres, contenues dans l’enveloppe des céréales.

Avec du levain… une meilleure qualité nutritionnelle

L’enveloppe des céréales est également riche en minéraux, et la panification au levain est essentielle pour permettre à l’organisme d’assimiler ces minéraux.

Du pain complet oui, mais au levain !

En effet, la plupart des enveloppes des céréales contiennent naturellement de l’acide phytique, qui a comme propriété de « fixer », ou bloquer l’assimilation des minéraux ingérés comme le calcium, le magnésium, le fer, le zinc et le cuivre, qui seront directement évacués, sans être absorbés par l’organisme. Ingérer de l’acide phytique en grande quantité présente donc un risque de déminéralisation, notamment chez les personnes âgées et les femmes enceintes.

Une enzyme naturellement présente dans les farines (la phytase) est capable de dégrader cet acide phytique. La phytase est active en milieu acide. Donc pour des fermentations au levain suffisamment acides et suffisamment longues, les phytases auront le temps de détruire la totalité de l’acide phytique, et au passage rendre assimilable le phosphore qui le constitue(2)(3). Consommer du pain complet au levain facilitera donc grandement l’assimilation des minéraux.

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Le levain est source de prébiotiques

Le pain au levain est bon pour notre flore intestinale

Pour terminer, les diverses fermentations se déroulant dans le pain au levain produisent une quantité et diversité plus importante de fibres et micro-nutriments que dans le pain à la levure. Ce sont des nutriments disponibles pour notre organisme, mais également pour notre microbiote intestinal. On peut donc dire que le levain est source de prébiotiques, qui nourrissent les micro-organismes constitutifs de notre microbiote et favorisent son équilibre(3).

Vous êtes arrivé.e au bout de l’article, bravo ! Êtes-vous à présent convaincu.e par les intérêts de la panification au levain naturel ? Ayant conscience des multiples qualités du levain, je ne reviendrai pas à la levure de boulanger utilisée seule, c’est certain. Et les bénéfices du levain seront d’autant plus importants que vous l’utiliserez avec des farines complètes, de bonne qualité, voire issues de blés anciens. Pour en savoir plus sur les différentes farines, n’hésitez pas à consulter cet article du blog. Si vous êtes partant.e, je vous invite à vous lancer à présent dans la création de votre propre levain. D’ici une semaine, il sera prêt à faire lever votre premier pain. C’est à la portée de tous, et cela ne nécessite aucun matériel spécifique pour débuter.

Et vous, quelles sont les raisons qui vous poussent à manger du pain au levain ? Si vous avez d’autres bonnes raisons en tête, n’hésitez pas à les partager en commentaire ; de même si vous avez des questions. Je me ferai un plaisir d’y répondre. A bientôt !

Principales sources utilisées pour rédiger cet article :

  • (1) Tartine bread – Chad Robertson
  • (2) Traité de boulangerie au levain – Thomas Teffri-Chambelland
  • (3) The Sourdough School – Vanessa Kimbell
  • Et un grand merci à mon amie Anne, boulangère à Dargent Bakery pour la relecture de cet article.

2 réflexions au sujet de « Pourquoi vouloir manger du pain au levain ? »

  1. Vous oubliez selon moi un détail fondamental lié à la dégustation : Une panification réalisée uniquement au levain modifie très largement le goût du pain en l’acidifiant.
    Certes, le levain permet le développement de nombreux composés arômatiques subtils et savoureux. Certes, il est possible d’obtenir un pain peu acidulé lorsque l’on maîtrise correctement les fermentations lactiques et acétiques. Toutefois, le goût du pain au levain est spécifique et la fermentation au pur levain dénature parfois la saveur originelle d’une céréale au lieu de la sublimer: De ce fait, j’aime le levain… modérément !

    Étant boulanger depuis plus de dix ans et maîtrisant ces techniques, je pratique différentes panifications:
    -Fermentation au pur levain pour ma tourte de meule t110 (levain ferme, fermentation plutôt acétique), qui est un produit rustique traditionnellement acidulé ;
    -Fermentation lente au levain liquide et à la levure pour certains de mes pains spéciaux (fermentations plutôt lactique et alcoolique), ce qui me permet de bénéficier d’une partie des bienfaits du levain tout en ayant recours au dynamisme et à la douceur de la fermentation alcoolique à la levure ;
    -Fermentation sur poolish ou encore à l’aide de la méthode Respectus Panis lorsque je souhaite éviter absolument l’acidité du levain dans le but de mettre en valeur une céréale particulièrement goûtue comme le petit Épeautre ou le blé de Khorasan (kamut).

    Il est à noter que les avantages nutritionnels résultant de la panification au levain lui sont effectivement propres, bien qu’une fermentation très lente à la levure (de type Respectus Panis par exemple) puisse avoir en partie certains bienfaits proches.

    Merci infiniment pour votre article documenté et complet, remarquable d’un point de vue pédagogique. Ce genre d’article devrait être lu par tous les apprentis boulangers et par tous les boulangers aussi !

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    Si cela vous intéresse, voici le mien : florent.lussiana_boulanger
    Cordialement, cher compain !

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